LE CERCLE/HUMEUR – Le RSE a obligé les entreprises à élargir leur seule empreinte économique. Elles doivent encore faire des efforts pour atteindre leur maturité citoyenne.

Le mécénat , enfant sage de l’engagement citoyen, a fait place à une période d’adolescence enthousiaste et rebelle : la responsabilité sociétale de l’entreprise (RSE). Développement durable et impact social ont bousculé le capitalisme, l’obligeant à élargir sa seule empreinte économique.

Les frontières entre secteur privé, monde social et collectivités locales s’y sont parfois brouillées, dans des alliances inédites pour résoudre des problématiques sociétales devenues cruciales. Les silos se lézardent et l’énergie de ces expériences réussies est communicative. Mais c’est encore insuffisant pour impulser une transformation profonde de l’entreprise et lui faire atteindre sa maturité citoyenne .

Une multiplication de partenariats

Qui dit partenariats entre une multitude d’acteurs dit brassage à tous les étages : porosité entre « le dedans et le dehors » (salariés d’entreprise, d’association et agents territoriaux à la même table) ; relations fonctionnelles et hiérarchiques décloisonnées (salariés de tous horizons fabriquant ensemble de l’efficacité économique, souvent à prix coûtant, et de l’impact social).

Renault, Total et la Macif, entraînés par l’association Wimoov avec Pôle emploi et des collectivités locales, font bouger les lignes depuis vingt ans, avec des solutions de mobilités durables au service de personnes fragilisées ! Au sein de la Banque solidaire de l’équipement, partenariat initié par Emmaüs-Défi (matériel neuf pour des familles en réinsertion), Carrefour, SEB et Leroy Merlin contribuent, avec la Mairie de Paris, à l’apprivoisement mutuel de secteurs qui se regardaient en chiens de faïence.

Grâce à cette pollinisation croisée germent des graines de transformation essentielles : ouverture d’esprit, compréhension de l’environnement, créativité, humilité face aux savoirs de l’autre. Les aspirations des générations X, Y et Z convergent, cocréateurs éphémères d’une économie plus positive, chacun dans son coeur de métier.

Cela produit du décloisonnement générationnel entre des diplômés séduits par les valeurs du secteur social (quand ils n’y ont pas cherché directement leur premier job) et leurs aînés parfois sans illusion sur l’entreprise post-crise. Ne boudons pas non plus ce bénéfice financier indirect : ces projets citoyens enchantent une population salariée, en quête de sens et de motivation, dont l’absentéisme (moral ou physique) coûte cher.

Vers un monde décloisonné

Ces belles histoires inspirent des témoignages frappants : du pain béni pour les communicants. Pari gagné ? Pas si vite. La propagation virale de ces « particules de changement » n’atteint pas assez l’ADN de l’entreprise. Simplement parce que nous catégorisons sans y penser notre monde. Bourdieu enseigne que toute société humaine crée des systèmes de classifications «à la frontière de la pensée consciente et inconsciente».

Sous son influence, anthropologues et économistes se rejoignent pour constater nos automatismes dans le pilotage du mode opératoire de nos organisations. C’est là notre plus grosse prison. Imaginer un monde décloisonné, littéralement faire sauter notre «verrou mental», voilà la vraie piste de survie.

Parce que ces expériences sociétales bousculent, elles offrent la clé d’une nouvelle intelligence stratégique et opérationnelle. Première étape incontournable : capitaliser en profondeur les enseignements de ces initiatives par des méthodes agiles d’observation et de modélisation. Après tout, l’entreprise a bien su le faire pour améliorer ses services et produits, avec le Big Data et l’approche design thinking !

Autre piste indispensable : recomposer les instances de direction et affirmer haut et fort l’engagement de graver innovation et RSE dans le marbre du modèle économique. Expanscience, connu pour ses marques comme Mustela, l’illustre en allant jusqu’à combiner ces deux fonctions. Ce laboratoire apporte une démonstration exemplaire des bienfaits, pour toutes les parties prenantes, de l’innovation ouverte mêlée à l’éco-conception : quand les silos éclatent, la valeur s’envole.

Laurence Borde et Nathalie Dupuis-Hepner sont membres des Company Doctors, réseau de consultants en entreprise

En savoir plus sur https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/030468475332-faire-bouger-les-lignes-de-lentreprise-2104789.php#rSdMxvj2xh8idHHT.99